I Hate Mondays ! [Libre, si vous avez le courage]

- I hate Mondays !

La voix puissante résonna longtemps dans les couloirs déserts de l’université. Une demoiselle à la capillarité pour le moins désordonnée se tenait debout en plein milieu de l’un d’eux. Elle arborait fièrement un tee-shirt à l’effigie de son personnage de BD favori, à savoir Garfield. Le célèbre chat orange répétait la même phrase qu’elle sur le coton bleu électrique.

I hate Mondays !

Il y avait plusieurs raisons pour lesquelles London ne supportait pas les Lundis, mais nous n’allons pas toutes les énumérer ici sinon ce serait trop long. Nous nous contenterons simplement des trois principales. Premièrement parce que c’était le seul jour (hormis le week-end bien entendu) où elle n’avait pas répétition de MacFesse – ne dites jamais le vrai nom de la pièce, ça porte la poisse – avec la section Art Dramatique. Deuxièmement parce que comme tous les lundis, elle avait été réveillée à six heures du matin par les gloussement intempestifs de ses voisines. Et troisièmement, qui est sans nul doute la raison la plus importante, parce qu’elle avait une gueule de bois monumentale après avoir passé le week-end en boite privée à se soûler le plus possible.

Un vague sourire passa sur le visage de la demoiselle. Que pouvait-il bien se passer dans sa tête à cet instant pour qu’elle soit si joyeuse d’un coup.

- Le petit bonhomme en mousse… Qui s’élance et rate le plongeoir… Se mit-elle à fredonner avant d’éclater de rire.

Visiblement tout l’alcool qu’elle avait du ingurgiter pendant ces deux dernier jours n’avait pas encore eu le temps de s’éliminer de son organisme.

Elle fit quelques pas mal assurés , se rattrapant au mur de temps à autres. Bon, d’accord. Elle exagérait peut-être un peu les choses. Elle n’était plus si ivre que ça et aurait très bien pu marcher droit si elle avait voulu. Le seul problème, c’est qu’elle ne voulait pas. Ben voyons, c’est beaucoup plus marrant de zigzaguer plutôt que d’aligner bien sagement ses pas les uns devant les autres.

Des bruits de pas réguliers se firent soudain entendre.

- Ouhou…Y’a quelqu’un ? Questionna judicieusement London.

Pas de réponse.

- Eh-Oh ! T’entends ? Insista-t-elle.

Elle accéléra le pas vers l’angle que formait le couloir, se mettant presque à courir. Le truc auquel elle ne s’attendait pas, c’était que le quelqu’un en question arrive à ce fameux angle au même instant qu’elle. Et fatalement, la demoiselle arrivant à font de train, il y eu grave collision humaine dans le secteur de Yale. Après avoir laissé échapper un bordée d’injures. La jeune britannique releva enfin les yeux pour voir qui était l’atrophié des globes oculaires qui avait osé la mettre à terre.

Il y avait des jours, comme ça, où Damon Flaherty se disait qu’il ferait mieux de faire réparer le moteur de son vieux side-car, qui faisait un bruit épouvantable. Mais ensuite, il se disait que peut être qu’à force d’entendre ce bruit de crabe de Mésopotamie qu’on égorge, les gens s’étaient habitués. Et puis, c’était un peu devenu une marque de fabrique, side-car qui fait trop de bruit = Damon, réparer le moteur pour qu’il fasse moins de bruit serait comme lui enlever une partie de lui-même, de sa personnalité. Peut être même que des gens se demandaient qui était cet individu à l’air mystérieux (en plus de l’air légèrement stupide parce que son side-car ameute tout le voisinage) qui fait tant de bruit. Si ça se trouvait, il avait des fans qui lui vouaient un culte sans limites en multipliant les incantation et prières à son attention.
Ensuite, Damon s’était dit que peut être que parmi eux se cachait un psychopathe, du genre fétichiste des side-cars qui font du bruit qui ne vivait que pour lui piquer son engin et le tuer. Il s’était figuré qu’il restait tapi derrière un buisson, attendant son passage patiemment en mangeant des oursons en gélatine (mais seulement les oranges et les jaunes, parce que ça fait plus psychopathe). Peut être que finalement, Damon aurait du faire réparer le moteur de son side-car.

Il en était là de ses réflexions lorsqu’il arriva à la fac et gara son engin d’amuuur dans le parking destiné aux engins d’amuuur des élèves. Oui, même si la plupart des étudiants friqués possédaient de superbes voitures à 666 chevaux, Damon aimait son side-car qui faisait du bruit, même s’il vivait dans la peur de voir un psychopathe mangeur d’oursons en gélatine le lui dérober.
Bref. En ce jour, Damon s’apprêtait à assister à un cours sur la philosophie de Spinoza. Woaw. Et il était sobre. Par sobre, il faut entendre qu’il n’avait rien fumé depuis la veille. Un DAmon Flaherty clean, c’est comme la mer sans les vagues, c’est comme les vagues sans l’écume, etc… Un petit détour derrière le gymnase olympique de Yale s’imposait, il serait en retard mais peu importe, il ne se sentait définitivement pas le courage d’affronter Spinoza sans marijuana sa grande amie.
Une poignée de minutes plus tard, Damon était enfin en état «normal » pour commencer une bonne journée de cours. Yeepee. Il s’engagea donc comme tout un chacun qui veut aller en cours dans l’un des couloirs du bâtiment des lettres (au pif, allez), et l’arpenta eà la recherche de sa salle. C’est alors qu’il entendit des voix.

Spinoza…

Murmura-t-il en regardant au plafond, persuadé d’avoir entendu ledit philosophe s’adresser à sa royale personne. Il continua à marcher, le nez en l’air bien sur, si Spinoza s’adressait à lui, il venait de tout là haut, c’était évident !
Toujours dans la divine attente d’une conversation avec Spinoza (oui, c’était un mec cool Spinoza, faut pas croire, il connaissait les vrais valeurs de la vie : bridge, accordéon & rock’n roll) il entra violement en collision avec un humanoïde non-identifié. C’était la fin, le psychopathe des side-cars l’avait retrouvé. Il leva les yeux vers ce qui semblait être… une élève… pas de super humeur visiblement… ébouriffée… une bonne tête de psychopathe en gélatine. La question franchi ses lèvres sans qu’il ne puisse s’en rendre compte.

Quand tu manges des oursons en gélatine, quelle couleur est-ce que tu préfères ?

- Quand tu manges des oursons en gélatine, quelle couleur est-ce que tu préfères ?

Hein ?

- Vert ! Répondit aussitôt London comme si c’était tout à fait normal.

Bon, je vous l’accorde, l’Anglaise avait une conception très personnelle du « normal ». Par exemple, elle trouvait parfaitement normal d’avoir une chambre tapissée de posters d’Andy Warhol (je vous jure que ça tue les yeux à force) et d’avoir un nombre incalculable d’accessoires à l’effigie de son chat orangé préféré. Elle trouvait également normal d’utiliser des pseudo-expressions françaises à tort et à travers, sa favorite étant sacré bleu. Et par dessus tout, elle trouvait normal de porter des escarpins Chanel dorés avec un jean artistiquement découpé par ses soins – à vrai dire, la plus part des personnes saines d’esprit auraient plutôt tendance à dire que ledit jean était passé dans une tondeuse à gazon puis avait été savamment retravaillé par un dingue équipé d’une tronçonneuse – portant la très gracieuse inscription « Fuck the world » sur la cuisse droite. En résumé…son look du jour était assez…destroy vers le bas, Bdifié vers le milieu et gravement ébouriffé vers le haut. Si elle avait eu une blouse blanche un peu crade et des bésicles tesson-de-bouteille sur le nez, elle aurait très bien pu passer pour une savante folle qui sortait de son laboratoire… Ou pour la fiancée de Frankenstein… Ca dépend des points de vue.

Euh…c’était quoi la question au juste ?

Ah oui, les oursons. La demoiselle n’aimait que les verts à vrai dire. Les blancs ressemblaient à des bouts de méduse, les rouges avaient la couleur douteuse d’un gloss fraise périmé, elle n’aimait pas l’odeur des jaunes (ça a une odeur ces trucs ?) , les oranges lui rappelaient le goût de ces immondes cachets de vitamine C qu’on l’obligeait à boire quand elle était malade, quant aux bleus…Ah bon, y’a pas de bleus ?

- J’aime les verts parce que ils ont un goût de pomme et d’adoooooore les pommes, surtout les vertes ! Jugea-t-elle judicieux de préciser.

Silence…
Gloussement…
Eclat de rire…

London se remit sur pied en s’aidant du mur à côté d’elle, tout sourire. Elle ne savait pas qui était ce gus mais il venait soudainement de rendre son Lundi moins tartifiant.

- Et toi, c’est quoi ta couleur préférée ?

"Vert" furent les mots de l'étrangère. Ce fut néanmoins ce que cru percevoir Damon, depuis sa nébuleuse en forme de feuille de canabis. A bien y réfléchir, si Damon était un personnage de bande dessinée, alors il serait sans doute représenté avec une aura de fumée le suivant partout. Ce n'est qu'une image bien entendu. N'imaginez pas qu'on ne puisse voir le visage de Damon à cause d'un surplus de fumée. Au contraire, ses traits avaient prit l'expression d'un étonnement modéré mêlé d'une intense réflexion de vieux philosophe (si, si)alors qu'il regardait la jeune femme venant de lui parler. Première constatation: il avait affaire à une compatriote d'Albion à en croire son accent. En soi, cela n'avait pas grand intérêt, si ce n'était d'avoir affaire à quelqu'un en mesure de comprendre la complainte scone brûlé, ou la tragédie royale de la tasse de thé refroidie (deux chose que les habitants de la nation de Ronald avaient du mal à saisir, malheureusement pour eux). Deuxième chose... qu'était-il arrivé à son pantalon? Était-il passé sous une tondeuse à gazon? Damon préféra privilégier une hypothèse plus drôle: Son jean avait eu le malheur de se trouver au mauvais endroit, au mauvais moment: sur un terrain de rugby, durant le haka neo zelandais.
Il lui répondit finalement au bout d'un moment.

Vert. C'est bien le vert...

Il avait la certitude désormais qu'elle n'était pas la psychopathe qui en voulait à son side-car, pour la simple et bonne raison que les psychopathes kidnappeurs de side-cars ne mangent aucun aliments verts. Ni de légumes commençant par la lettre P.
S'en suivit un silence que la jeune inconnue brisa en un éclat de rire. Damon arqua un sourcil puis la regarda en esquissant un sourire. Soit elle était sous acide, soit elle venait de s'enfuir de l'asile le plus proche. Ou alors les deux à la fois. Ce qui était plutôt une bonne chose, il fallait être un peu fêlé pour répondre aux questions de Damon.
En parlant de ce dernier, quelle était sa couleur préférée...

Être infini. C'est ma couleur préférée.

Pas une couleur? Keumant? Pour Damon, c'en était une, tout pouvait être couleur, tant pis si le monde ne comprenait pas, c'était comme ça.
Il se leva à son tour avec plus ou moins (mais plutôt moins) de fluidité, un sourire au coin des lèvres, faisant ressortir deux fossettes de chaque côté de ses joues.

As tu déjà léché une pile de 9 volt? Est ce que tu connais par coeur les paroles de l'hymne national? As tu déjà fumé des coques de cacahouètes? Bob l'éponge ou Jimmy Neutron? A quoi est ce que tu pense le plus? Est ce que tu penses que les oiseaux croient en Dieu?

Déclara-t-il sans s'arrêter, n'espérant pas vraiment de réponse à toutes ces questions, étant donné la vitesse à laquelle il les débitait. Une action spontanée de Damon de plus, il venait de poser les questions que les gens normaux étaient le moins susceptibles de poser aux autres gens normaux. Dommage pour eux.
Tout en reculant, pour ne pas rester dans les couloirs une éternité dans un élan d'altruisme (ne dérangeons pas les pauvres étudiants avides de savoir qui EUX vont en cours) il posa la dernière question de sa série:

Où es ce que tu aimerais être en ce moment?

- Être infini. C'est ma couleur préférée.

London resta silencieuse un moment entre admiration et incompréhension. « Être infini » ça ressemblait à quoi au juste ? Personnellement, elle aurait eu tendance à se le figurer un peu comme le ciel mais en vachement plus acidulé.

- Wahoo ! C’est cool ! Finit-elle par dire avec un grand sourire.

Le gus se remettait debout tant bien que mal(bon, d’accord soyons honnêtes, plutôt mal dans son cas). Et puis là, ce fut le déluge… Enfin de mots. Allez pas imaginer qu’il était capable de produire des trombes d’eau par le seule force que son esprit. Quoi ça aurait été marrant… Yale transformée en arche de Noé.

- As tu déjà léché une pile de 9 volt ? Est ce que tu connais par cœur les paroles de l'hymne national ? As tu déjà fumé des coques de cacahouètes ? Bob l'éponge ou Jimmy Neutron ? A quoi est ce que tu pense le plus ? Est ce que tu penses que les oiseaux croient en Dieu ?

Il n’espérait quand même pas qu’elle parvienne à répondre à tout ça ? Surtout qu’elle avait loupé la moitié des mots tellement il allait vite. Elle tenta vainement de faire marcher son cerveau pour donner un sens correct à cette bouillie de sons mais le seul résultat notoire fut un début de migraine particulièrement ravageur. Mouais… Il faudra faire gaffe à ne pas trop réfléchir aujourd’hui. C’est pas bon pour la santé.

Puis enfin vint la dernière question. La seule compréhensible à vrai dire.

- Où es ce que tu aimerais être en ce moment ?

Ca méritait réflexion !
Elle aurait aimé être nulle part et partout à la fois. Mais avant tout dans un endroit dingue. Un truc au quel personne n’aurait pensé, où personne ne l’aurait trouvée, qui ne serait pas aussi tartifiant que les cours pseudo-philosophiques de Yale et où elle pourrait faire tout ce qu’elle voulait.
Comment pourrait-elle bien décrire ça…

Puis soudain, son visage s’illumina. Elle avait trouvé l’endroit parfait !

- Là ! Fit-elle en pointant sa poitrine du doigt.

Hum…Nan…Pas vraiment là.

- Chez lui ! Précisa-t-elle en montrant le chat grognon imprimé sur son tee-shirt.

- Dans une BD ! Parce que c’est toujours vachement plus marrant que la réalité !

Le débit de parole de Damon avait rarement été aussi élevé qu'à cet instant. Oh woaw. Il en serait presque épuisé pour le restant de la semaine (qui rappelons le, venait tout juste de commencer).
Il regarda son interlocutrice à travers des yeux défoncés et clignotants comme des petites ampoules de Noël bleues. Bip bip bip. Uh, la preuve est faite qu'on pouvait aisément transformer Damon en un objet. En soi, ce n'était pas une mauvaise idée, il aurait au moins une utilité précise dans ce cas là.
La fille ébouriffée fut soudain prise d'une soudaine inspiration.... et pointa sa poitrine du doigt. Damon regarda le-dit doigt, puis arqua un sourcil en se rendant compte de ce que désignait le doigt. Euh... quel genre de personne se trouvait en face de lui? Bon, d'accord, il l'avait cherché avec ses questions stupides, mais franchement est ce que son destin était d'être à tout jamais confronté à des individus donc l'ambition dans la vie était de se faire construire un joli pied-à-terre dans leur soutien-gorge?
"Chez lui!" résonna dans sa tête, l'extirpant de ses pensées farfelues. Son regard fit des aller-retour entre la fille et Garfield. Fille. Garfiel. Fille. Garfield.
Il plissa les yeux et secoua vivement sa tête, afin de chasser la vision bizarre qu'il avait eut auparavant. Il eut un léger rire, se sentant soudainement tel le déficient...
Damon reprit vite un air sérieux. S'il ne s'était pas déjà assez ridiculisé comme ça, il aurait sans doute adopté la posture du penseur de Rodin... ou pas.
Elle n'avait pas tord, le monde de Garfield était globalement plus sympa que celui des couloirs étriqués de Yale. Si on exceptait les intenses questionnements métaphysiques du chat, et Odie le tout baveux.

Chez Garfield...

Damon hochait maintenant lentement la tête. Maintenant qu'il y pensait, son cours de philo ne lui disait plus vraiment grand chose, il ne savait pas exactement où il souhaitait se trouver à cet instant précis, mais sûrement pas ici. Il sortit se ses pensées et reporta son attention sur la jeune femme, avant de reprendre la parole.

Toute proposition pour accéder à un endroit plus marrant que celui-ci est la bienvenue...

Fit il avec tout la sériosité dont il disposait (pas énormément, certes, mais c'était déjà ça)

J'ai un side-car... un vieux... qui fait du bruit... et qui attire sans doute des hordes de psychopathes... mais je suis sûr que Garfield aime les side-cars...

Arrêtez le, lancez lui une pierre, faites quelques chose pour le faire taire... Damon entendit sans doute les recommandations de son cher et tendre narrateur, puisqu'il se la boucla, pour finalement se diriger vers la sortie la plus proche, les yeux cependant toujours rivés sur la fanatique du chat orange.

Par contre, il faut que tu m'aide, je vais pas réussir à trouver tout seul, je crois...

Non, Damon n'a pas coutume de demander leur avis aux gens, si c'est votre question. Il se dirigeait déjà vers le parking, ne vérifiant même pas si la fille le suivait ou pas...